〉Un article rédigé par Solange Favre pour minds
Aujourd’hui, être joyeux.se, serein.e, satisfait.e et l’afficher est devenu culturellement branché. Plus on a l’air heureux, plus on est dans l’air du temps. Telle est la philosophie du développement personnel, mouvement de pensée positive lancé dans les années 90 et actuellement très florissant. L’épidémie du COVID a par ailleurs renforcé ce prisme en ajoutant à l’obsession du bonheur celle de la bonne santé : il faut rayonner, aussi bien par nos pensées que par notre état de santé. La positivité en toute circonstance, n’est-ce pas finalement une injonction plus qu’une liberté ?
Nous sommes toutes et tous porteur.se.s d’une mission de vie qui nous est propre, de ressources uniques, qu’il nous revient de trouver pour aspirer au bonheur. C’est en tout cas le message que véhicule le développement personnel, en se centrant sur l’individu et la recherche de son bonheur. L’idée est que nous disposons chacun.e d’un potentiel d’épanouissement absolu, dont nous seul.e.s détenons les clés. Le bonheur serait donc le fruit de notre seule responsabilité individuelle? En apprenant à cultiver pensées positives, auto-affirmations valorisantes, et citations inspirantes, nous pourrions toutes et tous atteindre la réussite professionnelle, sociale et relationnelle.
La sociologue Eva Illouz explique que le développement personnel espère ainsi « rééduquer la population en une population heureuse » (1) et faire de cet état, une norme. Mais peut-on vraiment nous auto-conditionner au bonheur permanent ?
Une étude réalisée en milieu professionnel montre que devoir être souriant, entre collègues ou avec les client.e.s, pousse les salarié.e.s à créer un écart artificiel entre la sérénité qu’on leur demande d’afficher et ce qu’ils éprouvent réellement. Cette tendance à l’optimisme ne se limite pas au milieu du travail. Elle s’exprime de façon plus générale dans différents contextes. Quid de la souffrance ? Elle a beau être douloureuse, elle fait partie de la vie, et chercher à l’éradiquer ou à l’anesthésie peut s’avérer néfaste. Cette « hiérarchie émotionnelle » (1) où toute forme de souffrance est proscrite, représente davantage un poids qu’une liberté. Nous considérer comme seul.es maîtres de notre bonheur revient à nous accuser ; nous responsabiliser de nos échecs et difficultés. Si on pose le bonheur comme norme ultime, être stressé.e ou déprimé.e devient inquiétant, voire pathologique. La souffrance devient alors source de nouvelles émotions négatives plus complexes, comme la honte. Nous ne finissons donc pas heureux.se.s et libres, mais coupé.e.s du droit à la souffrance.
« Voir la vie du bon côté » n’est ni toujours possible, ni toujours souhaitable. Le psychologue Jacques Lecomte, qui s’est beaucoup intéressé aux bienfaits de la psychologie positive, explique que le prisme de la pensée positive est à nuancer.
« Dans certaines situations, la pensée négative permet de réaliser des estimations plus justes, plus exactes, ce qui peut avoir des conséquences importantes » (3). Considérer notre pensée comme l’unique cause de notre état émotionnel, c’est aussi « délaisser […] l’influence des conditions d’existence. » (4)
Comme nous l’expliquons dans notre dossier “C’est pas que dans la tête!”, notre santé mentale est influencée par de nombreux facteurs internes comme notre capacité de gestion des émotions, nos compétences relationnelles ou encore notre genre. Mais elle est aussi et surtout influencée par de multiples facteurs externes comme notre environnement économique, social et culturel, notre tissu relationnel ou le contexte sociétal dans lequel nous évoluons. Des facteurs externes sur lesquels nous n’avons que peu de contrôle. Nous ne pouvons donc pas agir sur toutes les causes de nos émotions, mais seulement apprendre à les gérer.
On ne peut donc ni être formaté.e au bonheur permanent, ni fuir la souffrance, puisqu’elle fait partie des composantes de notre vie. Nous sommes en permanence habité.e.s par des émotions, qui se succèdent et fluctuent plus ou moins intensément selon notre personnalité et les circonstances de la vie. Notre état émotionnel est donc variable. Nos émotions constituent un spectre naturel, où toutes ont leur place, qu’elles soient positives ou négatives. Ou plutôt devrait-on dire agréables ou désagréables, car en réalité, aucune émotion n’est vraiment négatives…ou inutiles. Dans notre dossier “Qui est normal.e ?“ nous expliquons qu’on ne peut pas supprimer nos émotions négatives, mais qu’on peut les considérer comme un état passager à laisser vivre et s’envoler à son rythme, au même titre que n’importe quelle émotion. Pour en diminuer l’effet nocif, elles doivent être accueillies et exprimées sans jugements. Des études ont d’ailleurs montré que pour prévenir le stress post-traumatique chez des rescapés d’un accident aérien, il fallait les autoriser à exprimer leurs angoisses! La souffrance humaine n’est donc ni une tare honteuse, ni une entrave totale au bonheur. Elle est le fruit de causes multiples. C’est un état passager avec lequel nous pouvons nous réconcilier. S’autoriser à souffrir, c’est aussi s’autoriser à s’exprimer, de la même manière que l’on exprime spontanément sa joie ou sa surprise!
On peut bien sûr parler à son entourage plus ou moins proche (famille, ami.e.s, collègues), ou avec un.e professionnel.le (psychologue, médecin). Différentes structures proposent également un soutien immédiat, ponctuel et gratuit par téléphone.
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Le bonheur, une affaire individuelle?
Ni bonnes, ni mauvaises, nos émotions sont utiles
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